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mercredi 2 mai 2018

846-NICE-LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU-ÉTAT DES LIEUX 2018-4





Plan du Cimetière chrétien du Château (Nice), plan simplifié datant des années 2000-2010,
avec indication des tombes de personnages célèbres.
Le sud est à droite de l'image et les Plateaux orientaux dits Protestants sont en haut de l'image.



DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 21/07/2021



- Cimetière du Château, vue est-ouest de l'enfilade des Plateaux orientaux dits Protestants,
photographie numérique couleur, avril 2018.




LE CIMETIÈRE PROTESTANT ET ORTHODOXE

Après trois ans de recherches sur le Cimetière du Château, ma vision de la partie protestante et orthodoxe a profondément varié.

Dans un premier temps, j'ai pensé que l'emplacement actuel de ce cimetière protestant et orthodoxe, constitué de plusieurs plateaux situés sur le flanc oriental de la colline, était celui d'origine. 

J'ai douté de cette hypothèse par la suite, du fait de quelques plans anciens de la Ville de Nice (1865, 1870, 1876). J'ai alors envisagé la possibilité qu'il y ait eu, dès 1845, un premier cimetière protestant au nord-ouest du Cimetière du Château, à l'emplacement actuel du Plateau d'Entrée. 

J'ai pensé que les tombes avaient été ensuite transférées à l'emplacement actuel, le "Plan pittoresque de la Ville de Nice dressé à la date du 1er janvier 1878", signalant pour la première fois ce cimetière protestant sur les plateaux orientaux (Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole).



Plan indicateur de la ville de Nice, détails des cimetières au nord de la Colline du Château, 1865,
ce plan, daté de 1865, montre le Cimetière protestant au nord-ouest, sur le Plateau d'Entrée,
le sud est au bas de l'image,
plan édité par Ch. Jougla, Paris, BnF, cf. le plan sur Gallica.

Plan de la ville de Nice, détail des cimetières au nord de la Colline du Château, 1878,
ce plan, dressé le 1er janvier 1878, montre le Cimetière protestant déplacé à l'est, en contrebas du cimetière catholique,
le sud est au bas de l'image,
Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole.




Après avoir pris connaissance de plans prévisionnels de travaux, datés de 1844 et 1845 (voir le détail icipuis du Plan régulateur du Cimetière du 10 novembre 1851 (AM, M8-1), je suis cependant revenu à ma première hypothèse positionnant, dès le milieu du XIX° siècle, le Cimetière protestant et orthodoxe au sud-est.


- Le Cimetière des non-catholiques, détail du Plan régulateur du Cimetière du 10 novembre 1851,
Nice, Archives Municipales, M8-1.
Le sud est à droite de l'image.
Cimetière partagé entre les suicidés, les enfants morts sans le baptême 
et les non-catholiques (protestants et orthodoxes).



La consultation de documents anciens m'a permis de confirmer l'existence de concessions "non catholiques" des années 1850-1870 qui ont perduré sur les Plateaux orientaux jusqu'au début des années 1970, avant d'être renouvelées.

S'il est vrai que le comté de Nice a été assez tolérant pour les communautés religieuses non catholiques, il y a eu cependant des exceptions. De même que le transfert des sépultures juives s'était vu, à la création du Cimetière du Château, accompagné de jets de pierres, il y a eu des épisodes semblables lors des funérailles de protestants au milieu du XIX° siècle, souvent obligées de nuit (voir ci-dessous l'article paru dans Le Constitutionnel du 12 août 1854 p 3).


- Le Constitutionnel du 12 août 1854 p 3.



Après l'Annexion française, les enterrements de non-catholiques sont mieux tolérés en plein jour. Un court récit de l'enterrement d'un protestant est fait dans la Revue de Nice du 1er mai 1863 . "Les portes de l'enclos s'ouvrent devant nous. A droite (nord), la fosse commune, à gauche (sud), les tombes particulières (...). dans presque aucune ville de province le tarif des concessions n'atteint un chiffre aussi élevé qu'à Nice" (Revue de Nice 1862-63 pp 286-288).

Il est possible que l'estampe montrant le Cimetière du Château dans l'ouvrage de Stephen Liégeard intitulé La Côte d'Azur (1887 p195), présente l'entrée du Cimetière protestant et orthodoxe, située sur le flanc nord-est de la colline.


- Nice, Le Cimetière,
Stéphen Liégeard, La Côte d'Azur,
estampe de l'édition de 1894 p 301.



Cimetière du Château, vue plongeante nord-sud sur le 1er Plateau et le Plateau Inférieur Protestants,
avec le Monument à Alexandre Herzen (1er Plateau), vu de dessus et de dos,
photographie numérique couleur, avril 2018.




LA TOMBE D'ALEXANDRE HERZEN

S'il y a une tombe emblématique du Cimetière protestant et orthodoxe, c'est bien celle (orthodoxe) d'Alexandre Herzen (1er Plateau Protestant), et son étude permet, notamment, de mieux comprendre l'évolution du Cimetière du Château.


- CARJAT Etienne (1828-1906), Portrait d'Alexandre Herzen, vers 1865-1870,
"Recueil. Personnalités des Arts et des Lettres", f. 12, Paris, BnF (voir la vue 29 sur Gallica).




Un article du Petit Niçois du 3 novembre 1886 cite, "dans le cimetière protestant, le fameux démocrate russe Herzen"
Henri Sappia, dans sa série d'articles sur le Cimetière du Château publiés dans Le Petit Niçois du 1er au 4 novembre 1898, dit seulement que "la statue en bronze d'Alexandre Herzen, moulée dans les fonderies du Val d'Osne, est une composition artistique digne d'une attention particulière", et fait accompagner ses propos d'un croquis du monument (Le Petit Niçois du 2 novembre 1898 p 3) mais sans préciser la date de sa réalisation.


- 1er Plateau Protestant, Monument d'Alexandre Herzen,
dessin publié dans Le Petit Niçois du 2 novembre 1898 p 2,
Archives Départementales des Alpes-Maritimes en ligne (CG06). 

- 1er Plateau Protestant, Monument d'Alexandre Herzen,
inscriptions sur le soubassement biseauté de la face méridionale du piédestal, en lettres de plomb,
: "A ALEXANDRE HERZEN
MOSCOU. 1812. - 1870. PARIS. 
SA FAMILLE, DES AMIS ET  SES ADMIRATEURS", 
et au-dessus les lettres gravées, 
"CONCESSION À PERPÉTUITÉ" ;
inscriptions gravées sur la face latérale occidentale du piédestal,
"A LA MÉMOIRE 
DE LOUISE HAAG ET DE NICOLAS HERZEN 
PÉRIS EN MER LE 15/XI/1851" ;
inscriptions gravées sur la face orientale du piédestal,
"NATHALIE HERZEN NÉE ZAKHARINE 1817-1852 
LISA HERZEN 1858-1875 
LOLA BOY ET LOLA GIRL 1861-1864",
photographie numérique couleur d'avril 2018.


- 1er Plateau Protestant, Monument d'Alexandre Herzen,
inscriptions du piédestal en lettres de plomb,
photographie numérique couleur d'avril 2018.

- 1er Plateau Protestant, Monument d'Alexandre Herzen,
signature des "Fonderies du Val d'Osne" sur le socle de la statue,
photographie numérique couleur d'avril 2018.



Alexandre Herzen (1812-1870) est un philosophe russe célèbre pour son opposition au régime des Tsars et notamment au servage. Il s'exile en Europe de l'Ouest dès janvier 1847 et séjourne en Angleterre, en France, en Suisse et dans le Comté de Nice.

Sa vie personnelle est marquée par une série de drames familiaux, dont la noyade, suite à un naufrage au large de Cannes, de sa mère (Louise Haag, 1795-1851) et de l'un de ses quatre enfants, son fils Nicolas, le 15 novembre 1851, puis le décès de sa femme Nathalie (née Zakharine, 1817-1852), morte en couches à Nice, le 2 mai 1852 (L'Avenir de Nice du 7 mai 1852 pp 1-2). Les membres de sa famille sont enterrés dans le Cimetière du Château.

Dès lors, Alexandre Herzen décide qu'il reposera un jour auprès des siens. Il rédige ainsi son testament, à Fribourg, le 1er août 1852 : "Je désire qu'après mon décès mon corps soit transporté à Nice et enterré au cimetière des non-catholiques, à côté de la tombe de ma femme. Là, on élèvera un monument funèbre commun pour ma mère et mon fils péris dans un naufrage, pour ma femme et pour moi"
En 1865 (?), il écrit à son ami Nikolai Ogarev (1813-1877) : "Il n'y a pas dans ce monde un cimetière plus beau que cette montagne. Quelquefois, je regarde avec plaisir la place que j'ai choisie et je me dis, Ici dormira Ogarev, et moi, je serai là !" (Leroy Ellis, La Colonie russe dans les Alpes-Maritimes des origines à 1939, Serre, 1988 p 25). 

"Hertzen" (sic) est signalé à Nice en octobre 1867 et en décembre 1868 (Les Echos de Nice du 5 octobre 1867 et du 24 décembre 1868).

Après la mort d'Alexandre Herzen à Paris, le 21 janvier 1870, son corps est déposé, le 24 janvier, dans un caveau provisoire du Cimetière du Père-Lachaise, en l'attente de son transfert pour Nice.

J'ai tout d'abord considéré que son corps avait été transféré dès 1870 à Nice (aucun article national ou local des années 1870 n'en précise la date) mais il semble que la Guerre franco-prussienne et la Commune aient repoussé la date du transfert, ce dernier n'ayant lieu que de nombreux mois plus tard (à la date anniversaire de sa mort ou de sa naissance).
La concession niçoise où il est inhumé porte d'ailleurs le n° 378 (sur plan), ce qui implique une date d'attribution en janvier ou février 1873 (les concessions n° 370 et n° 382 correspondant respectivement à des inhumations en décembre 1872 et en mars 1873 sur le Plateau Grosso)

Une souscription publique ouverte pour la réalisation d'un monument sur sa tombe et à laquelle participent "Sa famille, Ses Amis et Ses Admirateurs" (inscription gravée sur le soubassement du monument) permet, dès 1872 ou 1873, la commande d'une statue de bronze sur un piédestal de marbre au décor sculpté de guirlandes, sablier ailé et rouelles, à l'artiste russe Parmen Petrovitch Zabila ou Parmenion Zabello (1830-1917). Parmenion Zabello a également réalisé un buste d'Herzen à la même époque (vers 1872, ici).

Cet artiste, ancien élève (1857) puis membre (1869) de l'Académie des Arts de Saint-Pétersbourg a réalisé de nombreux portraits sculptés (il exposera notamment à Paris, à l'Exposition Universelle de 1889 et finira sa vie en Suisse).

La statue est fondue dans les ateliers du Val d'Osne, ateliers créés en 1836, devenus rapidement célèbres grâce à la qualité de leurs productions et consacrés lors de l'Exposition Universelle de Londres en 1851 (puis de Paris en 1900).



- ZABILA Parmen (1830-1917), Statue en pied (bronze) d'Alexandre Herzen, 1875,
photographie numérique couleur, avril 2018.



Ce sont les recherches de Michel Mervaud et notamment la publication de lettres de proches d'Alexandre Herzen ("Ogarev et son temps", Revue des Etudes slaves, 1993, vol. 65-4, pp 777 et 783) qui révèlent la date de l'inauguration de ce monument vers 1875 (l'été ?), sans permettre cependant d'en préciser le jour ni le mois (lettre du 23 avril 1875 annonçant son inauguration prochaine, lettres du 1er et du 26 août 1876 évoquant une photo du monument ; cf. l'article en ligne).

Les inscriptions gravées sur les faces est et ouest du piédestal citent les proches d'Alexandre Herzen : sa mère Louise, son fils Nicolas, sa femme Nathalie mais également les enfants qu'il a eus avec Tuchova, la femme d'Ogarev, les jumeaux "Lola Boy et Lola Girl 1861-1864" et sa fille "Lisa Herzen 1858-1875", qui s'est suicidée en décembre 1875 (inhumée ici ?).

La mention de Lisa, entre celle de la femme d'Alexandre Herzen et celle des jumeaux, laisse penser que la gravure de l'ensemble des noms a été réalisée après décembre 1875 ou bien que c'est l'inauguration même du monument qui a été effectuée après cette date. 
La façon d'orthographier les prénoms, le choix de certaines dates (naufrage du 15 ou du 16 novembre, mort des jumeaux en 1864 ou 1865) et le fait d'accoler le nom de "Herzen" au prénom de Lisa indiquent davantage la première des deux hypothèses. L'ajout de ces inscriptions peut même être tardif, le dessin du monument publié en 1898, peu fiable par nature (voir l'image ci-dessus), ne montrant d'ailleurs que les seules inscriptions se référant à Alexandre Herzen et dans un ordre différent de l'ordre actuel.

Il semble probable que l'emplacement actuel de la tombe d'Alexandre Herzen soit l'emplacement d'origine (concession de 1873 et monument de 1875). 
Cela implique que les corps de sa famille l'ont rejoint à ce nouvel emplacement et cela confirme à nouveau que le Plateau dit "Protestant Inférieur" a bel et bien été occupé avant 1877. Si le testament d'Alexandre Herzen a été bien respecté, c'est même à proximité de l'ancienne tombe de sa femme (1852) que son Monument a été érigé.



RELEVÉS DES QUATRE PLATEAUX PROTESTANTS ET ORTHODOXES

Cette troisième étude concerne les quatre niveaux successifs, Protestant Inférieur, Protestant 1er Plateau, Protestant 2ème Plateau, Protestant 3ème Plateau (d'est en ouest et du bas vers le haut) du Cimetière protestant et orthodoxe et souhaite donner une datation claire des espaces actuels. Dans ce but, les indications se veulent à nouveau synthétiques et simplifiées et ne citent ni les tombes isolées chronologiquement ni les tombes ajoutées après 1940. 

L'angle nord-est du plateau Protestant Inférieur était originellement l'emplacement de la Poudrière et portait ce nom (terrain de l'Etat). Il n'a reçu des concessions funéraires municipales qu'à partir de l'extrême fin de l'année 1922 ou le début de l'année 1923 (les corps attendant l'accord de l'Etat au dépositoire).

Dans un souci de lisibilité, les dates des concessions antérieures à 1861 sont en blanc, celles de la période 1861-1894 sont en rouge, celles de la période 1895-1919 sont en bleu et celles de la période 1920-1942 sont en vert. L'ordre des dates inversées est fonction de la position géographique des concessions dans l'allée.




Plan du Cimetière chrétien du Château (Nice), Plateaux dits Protestants,
détail du plan simplifié datant des années 2000-2010,
avec indication des tombes de personnages célèbres.
Le sud est à droite de l'image.



Dans l'ensemble des quatre plateaux, aucune concession conservée n'est antérieure à 1861, et quatre seulement sont antérieures à 1880.

Une seule concession (et tombe) des années 1860 (1865) est en effet toujours présente du côté sud de l'allée orientale du 1er Plateau (indication exceptionnellement portée sur le plan). Les rares concessions des années 1870 sont celle d'Herzen sur le 1er Plateau et trois autres (1872-1877) du 2ème Plateau (les autres concessions de ce 2ème Plateau datent de la période 1880-1884). 

Si quelques concessions du 3ème Plateau datent du tournant du XX° siècle (1893-1913), les concessions anciennes les plus nombreuses de cette zone datent des années 1909-1919 (avec un complément en 1920-1924) et sont situées sur le Plateau Inférieur.

Enfin, l'ensemble des plateaux a été fortement renouvelé par une reprise massive des anciennes concessions puis l'attribution de nouvelles dès 1966. Ce phénomène s'est amplifié au cours des années 1970 et 1980, au point d'ailleurs de faire disparaître du 1er Plateau toutes les concessions et tombes anciennes (sauf deux d'entre elles ; indications exceptionnellement portées sur le plan).

Une ou deux entrées particulières, percées dans la partie sud-est du Plateau Inférieur (voir le plan de 1845 des AD06), permettaient à l'origine d'accéder directement à cette zone. Depuis la fin du XIX° siècle, cet espace n'est plus strictement réservé aux "non-catholiques". 


UN RÉCAPITULATIF DE L'ENSEMBLE
DU CIMETIÈRE DU CHÂTEAU